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Photo : Radio-Canada/Découverte

On ne connait pas de sources de contaminants organochlorés dans toute la région de l’estuaire moyen du Saint-Laurent, ni sur la rive sud, ni sur la rive nord. Pourtant la région a un lourd historique d’une contamination importée de l’amont et plus spécifiquement du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent. Le principal vecteur de cette contamination a été les anguilles en migration vers la mer des Sargasses, lieu de reproduction unique de toutes les anguilles d’Amérique du nord. L’anguille est un poisson gras qui tend à accumuler les polluants organiques persistants (POP) et en particulier les biphényles polycholorés (BPC), certains pesticides organochlorés, comme le DDT et aussi un composé peu connu et ayant pour nom commercial «Mirex». C’est une molécule organochloré complexe qui a été utilisée aux États-Unis dans les années 1960 contre les fourmis rouges, mais qui a été fabriquée le long du lac Ontario, d’où la contamination des anguilles qui y grandissent pendant plusieurs années jusqu’à leur maturation.

Au début des années 1980, des données sur la contamination des anguilles du secteur Cacouna – Kamouraska – Rivière-Ouelle ont montré des concentrations très élevées de BPC totaux et mirex pour l’ensemble des tissus des anguilles capturées dans ce secteur en 1982. Ces résultats alarmants ont poussé à la mise en marche d’un important programme de recherche à Pêches et Océans Canada afin de déterminer les effets de cette contamination sur les espèces de l’estuaire du Saint-Laurent. Environ 10 ans plus tard, un nouveau rapport technique sur la contamination des aiguilles capturées dans le secteur de Kamouraska à l’automne 1990 indiquait déjà une réduction importante du niveau de contamination de ces anguilles par rapport à l’étude des années 1980. Ainsi, les teneurs moyennes en BPC et en mirex dans les anguilles avaient diminué de 68% et 56%, respectivement. Une étude plus détaillée des mêmes données a montré que les concentrations de tous les autres pesticides avaient aussi baissé, sauf le dieldrine qui continuait d’être utilisé en agriculture autour des Grands Lacs et le long du Saint-Laurent. Les concentrations de certains congénères des BPC étaient encore suffisamment importantes pour représenter un danger direct à la santé des bélugas qui consomment ces poissons. Toujours en lien avec cette étude, des travaux en pathologie chez les anguilles analysées ont montré un lien entre certaines malformations et lésions précancéreuses et le niveau des contaminants. Les auteurs ont aussi appuyé l’hypothèse voulant que les anguilles puissent être une source importante de POP pour les bélugas et probablement le vecteur spécifique du mirex provenant essentiellement du lac Ontario et non de l’estuaire du Saint-Laurent. Les populations des anguilles et de bélugas ont plusieurs points en commun :

  • forts niveaux de polluants organiques persistants (POP) et en particulier de mirex provenant du lac Ontario;
  • nombre d’individus matures en déclin depuis plusieurs décennies;
  • présence de lésions pré-néoplasiques et néoplasiques suggérant une exposition à des substances cancérigènes.

Pour les deux espèces, il est difficile d’établir un lien formel et direct entre la contamination et les problèmes de santé observés parce que le biais de l’échantillonnage et de multiples facteurs autres que les contaminants peuvent affecter leur population.

Des données plus récentes obtenues sur les anguilles du Saint-Laurent sont cependant beaucoup plus rassurantes quant à la présence des contaminants organiques dans ces poissons. Pour les anguilles capturées en 2008 et 2009 à Kamouraska et Rivière Ouelle, les concentrations moyennes en BPC totaux étaient de l’ordre de 0,08 µg/g, soit des valeurs entre 10 à 20 fois inférieures à celles de 1990. Le mirex était indétectable dans tous les échantillons. Toutes les valeurs de BPC étaient inférieures aux valeurs du guide canadien pour la protection de la santé humaine et donc sans risque pour la consommation. La contamination par les POP est donc un problème du passé pour les anguilles mais pas nécessairement pour les bélugas qui fréquentent toujours assidument l’estuaire moyen du Saint-Laurent.

 

Émilien Pelletier

Professeur émérite UQAR/ISMER

 

Pour en savoir plus :

Byer, J.D. et collaborateurs (2013). Spatial trends of organochlorinated pesticides, polychlorinated biphenyls, and polybrominated diphenyl ethers in Atlantic Anguillid eels. Chemosphere, 90:1719-1728.

Couillard, C.M., P.V. Hodson et M. Castonguay (1997). Correlations between pathological changes and chemical contamination in American eels, Anguilla rostrata, from the St. Lawrence River. Can. J. Fish. Aquat. Sci., 54: 1916–1927.

Hodson, P.V., M. Castonguay, C.M. Couillard, C. Desjardins, É. Pelletier et R. McLeod (1994). Spatial and temporal variations in chemical contamination of American eels (Anguilla rostrata) captured in the Estuary of the St. Lawrence River. Can. J. Fish Aquat. Sci., 51: 464-479.