Berthier-sur-mer

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Photo: Tourisme Chaudière-Appalaches

« Retourne sur tes pas, ô ma vie, tu vois bien que la rue est fermée... »

Anne Hébert, Le Tombeau des rois

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Si vous n’êtes pas vous-mêmes une embarcation de type yacht, vous aurez des problèmes à accéder aux plans d’eau du Québec. Depuis une génération, des centaines de millions de dollars en fonds publics ont servi à faciliter la mise à l’eau et le stationnement de bateaux de plaisance de plusieurs tonnes dans des marinas, alors qu’il n’existe que peu d’endroits où une jeune mère peut faire tremper son rejeton dans l’eau pour le rafraîchir durant les canicules.

Depuis trois décennies, le Québec a consacré plusieurs milliards de dollars à l’assainissement des eaux du fleuve Saint-Laurent, des lacs et des rivières. Il s’agit ici de cette eau dans laquelle nous pouvons nous baigner, nager, pêcher, faire du canot, du kayak ou de la voile, etc. De telles activités supposent la présence d’accès publics aux plans d’eau. Cependant, au moment où la population pourrait enfin tirer parti de l’effort consenti pour assainir des eaux au Québec, elle s’en voit empêchée en raison d’une occupation privative croissante des rives, de vastes parties du littoral fluvial ainsi que d’un nombre croissant de lacs et de rivières étant dépourvus d’accès publics.

LES CARENCES DU DROIT

À la base, cette situation résulte d’une carence du droit québécois de l’eau. En effet, contrairement à ce qui prévaut dans la plupart des pays occidentaux, le Québec ne dispose d’aucune législation favorisant l’accès de la population aux plans d’eau publics. Les eaux navigables et flottables font pourtant partie du domaine public. Par conséquent, à cette propriété publique devrait en principe correspondre un accès public. Le hic, c’est qu’au Canada en général et au Québec en particulier, l’accès à l’eau est un attribut de la propriété. Cela signifie que les rives sont accaparées par des propriétaires privés, soustrayant ainsi à la très grande majorité de la population ainsi qu’aux visiteurs l’usage de ressources qui appartiennent pourtant à la collectivité. L’État, dans la plus grande indifférence, laisse ces plans d’eau se transformer en véritables clubs privés. Il en résulte que nombre de lacs, de rivières, voire même le fleuve Saint-Laurent, deviennent à toutes fins pratiques inaccessibles à quiconque n’est pas propriétaire riverain.

Nulle part ce manque d’accès aux plans d’eau publics n’est plus remarquable que dans les villes québécoises riveraines du Saint-Laurent. À Montréal, Trois-Rivières, Sorel ou Québec, des millions de gens ne jouissent d’aucun accès public au fleuve. Depuis deux siècles, les activités portuaires ont massivement accaparé la quasi totalité des rives urbaines, interdisant toute polyvalence des usages du fleuve. Voilà qui devrait intéresser le bien nommé ministère de… l’Occupation du territoire!

Les vastes espaces libres des propriétés de la Société du Vieux-Port de Montréal ont toutefois été conquis de haute lutte par la population elle-même dans un formidable débat public en 1984-1985. À Québec, par contre, il ne s’est jamais produit de tel débat public et c’est cette absence qui apparaît comme le principal obstacle à un réaménagement des rives de Québec dans l’intérêt de la majorité des citoyens.

L’EXEMPLE FRANÇAIS

L’état actuel de la législation québécoise apparaît encore plus choquant lorsqu’on se livre à un exercice de droit comparatif, surtout avec le droit républicain. Si on prend l’exemple de la France, le législateur y a jugé nécessaire de renforcer le caractère public des plans d’eau ainsi que des accès à ces derniers. Les visiteurs disposent d’un droit de passage paisible sur une bande de trois mètres sur l’ensemble des propriétés situées en bord de mer. La loi prévoit aussi l’aménagement à tous les 500 mètres de passages transversaux pour accéder aux rivages à partir d’une voie publique. Quant aux plages, la loi française établit que « l’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages ».

En fait, durant près de deux siècles, la Nouvelle-France bénéficia de l’application de l’Ordonnance De la Marine (1681) de Colbert – selon laquelle nul ne saurait ériger quoi que ce soit sur le rivage sans permission royale.

Quelle symbolique puissante si la France d’aujourd’hui – au nom des mêmes principes que naguère – accompagnait les Québécois dans un effort de reconquête des accès et usages publics des plans d’eau du Québec! * L’auteur, géographe, s’implique dans la Société des Gens de Baignade.

 

Léonce Naud, géographe

Société des Gens de Baignade

Article paru dans la revue Relations